Le Mali s’apprête à connaître, dans une année, une nouvelle ère qui confirmera ou pas sa renaissance, à la faveur d’une période électorale qui redéfinira un nouveau contrat social respectueux des droits et libertés des citoyens. Pour faire émerger cette société à multiples défis et répondre aux urgences des temps présents, Moussa Mara, ancien Premier Ministre du Mali, croit et réfléchit sur un Mali où il fera beau vivre et qui redeviendra un acteur majeur dans la sous région Ouest-africaine en matière de sécurité et paix, de développement économique et socioculturel. Il est actuellement le personnage politique le plus écouté par la majorité des 21.078.985 maliens qui se tourmentent de l’avenir d’un pays où les coups d’Etat sont devenus légions, empêchant toute ambition de développement inclusif. Ramener le Mali sur le devant de la scène continentale, le placer au coeur des enjeux géostratégiques dans un contexte de crise sécuritaire et sanitaire sans précédent demeure un impératif majeur pour Moussa Mara.
Par Driss SENDA
Geoafricapress : La question du développement du continent africain demeure un sujet toujours évoqué dans la plupart des rencontres internationales, mais depuis, les quelques rares progrès restent mitigés. Où se trouve réellement le problème ?
Moussa Mara: L’un des problèmes les plus importants rencontrés sur le chemin du développement en Afrique est celui du leadership et cela impacte tous les secteurs, en particulier l’économie. Il y a des efforts à faire en matière de leadership et donc de la gouvernance. Ensuite les fondamentaux pour le développement portent sur les infrastructures (énergie, transport, logistique…), notamment celles qui devraient interconnecter les pays africains. Il y a des efforts plus soutenus à consentir dans ces domaines. La qualité de nos ressources humaines constituent également un défi à relever. Sur chacun de ces sentiers, le travail se fait mais je crois qu’il faut aller encore plus vite, plus loin et surtout ensemble dans la même direction.
GAP: Faut – il blâmer le système monolithique d’hier ou la démocratie d’aujourd’hui, voire l’élite africaine, sinon croyez – vous que la faiblesse des économies africaines, le manque de promotion des cultures et des traditions africaines soient la cause de ce sous développement pluridimensionnel ?
M.M. : Il est clair que la démocratie est préférable à l’autoritarisme, mais la démocratie demeure un processus continuel qui ne se résume pas seulement à une simple organisation des élections. La question de l’indépendance de la justice et du renforcement des contrepouvoirs demeure aussi un défi majeur que nous devons prioriser. Il s’agit de laisser s’affirmer l’identité de tout un chacun. Sur l’autre aspect de la question, il est évident que si nous plaçons au coeur de nos préoccupations nos cultures et nos traditions, cela deviendra une chance supplémentaire pour le développement du continent. Car elles sont inductrices de croissance économique durable également. Il faut aller au delà des mots et placer, comme cela est indiqué dans l’agenda 2063 de l’Union africaine, la culture au cœur de nos stratégies de développement. Nos cultures sont le ciment, le socle de nos identités.
GAP: Que vous inspire l’image étriquée du Mali actuel dont l’empire d’hier constitué du Burkina Faso, du Mali, du Senegal, de la Gambie, de la Guinée et Guinée Bissau, de la Mauritanie et de la Côte d’ivoire faisait pourtant la fierté d’une civilisation avec pour toile de fond, une ‘’charte de Manden’’ que certains considèrent comme la première déclaration des droits de l’homme au monde ?
MM: De la tristesse face aux violences et aux destructions dont celles illustrées encore récemment par l’attaque barbare contre les populations civiles à Bandiagara au centre du pays. On ne peut construire un pays dans la violence. Nous avons l’impérieux devoir de rechercher des stratégies susceptibles de nous aider à consolider les fondements de notre grand retour sur la scène continentale et s’inscrire dans la durabilité et la stabilité au sein de notre sous région. Cependant, à l’aune de l’histoire des empires sur plusieurs siècles, il faut savoir placer en perspective la crise vécue par le Mali et le sahel sur une dizaine d’années, et se dire que nous pouvons et devons nous en sortir et continuer à inscrire nos pays dans des trajectoires stratégiques positives.
GAP: Donnerez – vous un coup de fouet politique si les circonstances vous étaient favorables de prendre en main le destin du Mali, comme l’avait fait en son temps, l’empereur Soundiata Keita au XIII ème siècle (1239-1255), avant le déclin dudit empire, au-delà du fait qu’on y retiendra des progrès considérables autant au plan économique, politique que culturel?
MM: La référence à Soundiata est très révélatrice de ce qui nous est nécessaire en ce moment au Mali. Si Soundiata est célébrée dans nos contrées ce n’est pas en raison de ses succès socio-économiques, car l’empire avait atteint son apogée après lui, au temps de Kankou Moussa. Si on se rappelle de Soundiata c’est parce qu’il a su, entre autres, réunir ses compatriotes et poser des actes fondateurs comme la ‘’Charte du Mandé’’. Cette charte a créé les conditions de l’unité fondatrice de cet empire majeur. En ce moment, le Mali a davantage besoin d’unité, de paix et de concorde nationale que de toute autre chose et donc d’un ‘’Nouveau Soundiata’’.
GAP: Moussa Mara en serait-il Un?
MM: Notre ambition est de retrouver l’âme du Mali, l’identité du peuple malien. Nous nous battrons pour réaliser cette unité et l’histoire nous jugera dans quelques décennies.
GAP: Pour vous quelle est la solution à la crise malienne actuelle, au-delà de ses ramifications politiques, économiques et socioculturelles et quelle recette entrevoyez- vous pour ne plus faire de ce pays le lit du terrorisme en Afrique?
MM: Il n’y a pas de remède miracle à la crise au Mali et au Sahel. Nous devons d’abord nous entendre et dialoguer à l’effet de conclure de manière heureuse la transition politique en cours. Ce n’est que dans ces conditions que nous pourrons organiser des élections qui consacreront le choix du peuple dans les meilleures conditions de crédibilité et de transparence. Ensuite nous devons savoir nous donner la main, cultiver le vivre-ensemble dès à présent et pendant les prochaines années, afin de régler la question de la rébellion et renforcer encore l’unité nationale indispensable à réduire de manière significative la violence terroriste.
Enfin, il nous faut reformer les fondements de notre état et de son commerce avec les citoyens. Il est temps de renforcer la confiance entre les citoyens, entre les élites afin d’engager une nouvelle marche en avant pour plus de progrès et de solidarité. Le prochain mandat sera de ce fait un mandat de transition. Nous avons déjà déduit plusieurs actions urgentes qui nous imposent des reformes en profondeur au niveau du système de la santé et de l’éducation qui sont des droits inaliénables, ainsi qu’au niveau de tout l’appareil de l’Etat et des régies financières. La reconstruction du Mali est à ce prix. Il s’agit d’un défi immense que nous pouvons relever si nous sommes réunis autour d’un idéal commun.
GAP: Comment appréciez – vous la déliquescence de l’armée malienne et la présence de la force Barkane sous la houlette de la France? Êtes-vous satisfait de la politique de sécurité menée par l’Union africaine, sinon quelles pistes de solution proposez – vous pour une Afrique en paix et dont les dirigeants se préoccupent enfin des questions de développement inclusif, des progrès en science ( recherches médicales, technologie, etc…)?
MM: La déliquescence de l’armée fait écho à celle de l’Etat et de ses différents services sous l’effet de l’absence de vision des élites, de mauvaises pratiques, de corruption. Il faut rebâtir et refonder l’Etat en prenant soin de fixer des ambition stratégiques, des objectifs tactiques et des buts immédiats ou prioritaires. Il faut tout coordonner. La France comme d’autres partenaires doivent nous aider dans ces perspectives afin que les Maliens puissent se passer à moyen terme de toute assistance extérieure en matière de défense et de sécurité. Pour l’Afrique, en particulier le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, la même ambition est souhaitable. Nous ne devons plus soutraiter notre sécurité. C’est pourquoi les initiatives allant dans le sens d’une autonomie stratégique en matière de défense et de sécurité sont à soutenir et renforcer. Je souhaite donc plus d’implication de l’Union Africaine car nous sommes face à un siècle de grands défis.
GAP: ‘’L’Afrique a besoin d’hommes d’action et non des théoriciens’’ déclarait déjà il y a plus de 20 ans Koffi Anan. Que diriez-vous aux jeunes africains qui, pour certains manquent de rêve d’avenir et d’autres qui choisissent d’aller mourir dans les eaux de mer de la Méditerranée, en justifiant par là le fait de fuir la misère en Afrique ?
MM: Je soutiens la déclaration de notre ainé Koffi Annan. Le temps des mots et des envolées lyriques doit laisser place à celui du concret et de l’action. Cela exige de nous courage et d’abnégation et surtout l’esprit de sacrifice. Nous devons moins célébrer les leaders que de leur demander de produire des résultats et de nous rendre compte de façon transparente. Nous devons moins entonner des slogans que de marcher, pas à pas, vers l’emploi des jeunes, l’accroissement des revenus des populations, plus d’éducation et de formation professionnelle. Vous me poserez certainement la question de savoir si nous avons encore les moyens économiques et humains de nos ambitions ! Je vous répondrai Oui!
GAP: Quel sens donnez-vous à votre récente déclaration disant que la « culture est le socle de notre identité », lors d’une soirée culturelle annuelle des Songhois, à Paris si je ne me trompe ?
MM: Je viens de publier un livre sur la culture africaine intitulé ‘’Cultivons Nos Afriques’’, Éditions Débats Publics, mars 2021. Au moment où la mondialisation et la pandémie de covid-19 accélèrent tous les processus de dématérialisation de nos économies en Afrique, il nous faut envisager nos cultures africaines comme des boussoles susceptibles de montrer aux Africains et au reste du monde un nouveau cap. La culture est donc le socle de la renaissance du continent selon moi.
Le Monde qui se dessine sera aisé matériellement mais les hommes seront en quête d’humanité. Or, la culture et particulièrement la culture africaine est pleine d’humanité et elle nous donne des chances sérieuses de défendre notre identité et de compter sur l’échiquier international dans un avenir proche. Rien n’est inéluctable ou perdu d’avance, tout reste possible. Donnons nous la main et avançons vers des horizons dessinés par des leaders efficaces et nous en étonnerons plus d’une personne.